08 novembre- 22 février 2025
Ibrahim Cissé
People come end Ghost
People come end Ghost
Marqué par la puissance des souvenirs de l’enfance, Ibrahim Cissé plonge le public dans un ancien album de famille à travers ses nouvelles œuvres, questionnant la photographie comme témoin des trajectoires transcontinentales de la diaspora africaine. « Pour les africains ayant migré à l’étranger, ces photographies étaient le seul moyen visuel de conter leurs histoires ou d’annoncer une naissance aux familles restées dans les pays d’origine., » évoque-t-il. Défaillantes face au réel, qu’est-ce que les images ne disent-elles pas ? Dans les compositions - ou plutôt recompositions - de scènes de l’intime, Cissé soulève l’expérience de la disparition, du deuil et la désynchronisation des liens familiaux causée par la séparation.
À Selebe Yoon, plongées dans un bain de lumières colorées, des caissons lumineux dévoilent des scènes et des portraits de la famille de l’artiste. À travers le découpage et le collage, ses compositions, délimitées par des subdivisions géométriques et des vignettes, empruntent au langage des anciennes miniatures persanes, alors que la transparence et la luminosité des œuvres rappelle l’art du vitrail qui, historiquement, est associé à l’ornements des monuments religieux. La technique de l’artiste consiste à redessiner des éléments tirés de ces mêmes photos, qu’il transfère sur papier vinyle, avant de manipuler ce dernier, ainsi que la toile par le biais de la peinture. Semblables à des négatifs photographiques ou à des imageries à rayons X issues du milieu médical, les scènes sont transformées, répétées et recomposées dans un espace psychique, presque absurde, entre réminiscences d’expérience vécue et déformation volontaire du passé.
Interrogeant la mystérieuse alliance du déterminisme et de la contingence dans le parcours d’une vie, l’artiste met en lumière les moments clés de l’histoire de sa propre famille, comme sa naissance, le départ de sa mère de la Gambie vers la France, le décès de son père, suivi par celui de son frère cadet, emporté par une maladie de sang. Ces instants sont associés dans sa mémoire à quelques visions ou impressions ineffaçables, manifestées à travers un bouquet de fleurs offert lors de funérailles ou d’une solitude maternelle assise à la table de son salon. La répétition des images amplifie la ténacité des souvenirs inébranlables, alors que certains portraits se basent sur des images prises au cours d’une vie.
Dans une réflexion générale sur la mémoire collective et les archétypes décrits par le psychanalyste Carl Gustav Jung, les œuvres sont ponctuées par la présence d’un bestiaire allégorique qui vient s’insérer dans les scènes de l’intime familial ou d’objets personnels et symboliques. L’œuvre intitulée « People come end ghost » (2024) représente le portrait de son frère cadet lorsqu’il était encore enfant, entouré d’un serpent, animal fétiche de la mythologie antique et figure fondamentale dans de nombreuses religions. Le corps amorphe de l’animal, aussi fluide que celui des vaisseaux sanguins, semble piéger le corps de l’enfant, faisant allusion au caractère insidieux et lent de certaines maladies du sang. Dans l’antiquité grecque, le serpent symbolise l'esprit gardien, offrant une autre interprétation de la scène immortalisée par l’artiste.
« Les personnes viennent et finissent fantômes » se traduirait le titre de l’exposition. Le résultat s’apparente à une berceuse hantée par des ombres, l’univers de l’enfance troublé par des fantômes où des allégories animales viennent s’unir à l’humain.
Bien que ces œuvres soient issues d’images privées, Ibrahim Cissé invite à une réflexion sur la fine frontière entre mémoire personnelle et collective, au rôle de l’image photographique pour combler des absences et raconter des histoires et la fonction de l’imaginaire face à la perte.
Biographie de l'artiste
Influencé par les théories scientifiques, la poésie et le mysticisme dans les œuvres littéraires anciennes, Ibrahim Cissé tisse à partir de récits apparemment disparates et géographiquement éloignés pour questionner les expériences transcontinentales de la diaspora. À partir du collage, de la photographie et de la vidéo, sa pratique oscille entre l'art visuel, l'écriture et la performance, empruntant à la fiction pour renforcer les cadres sociaux et historiques de ses œuvres.
Ibrahim a obtenu un Master en Conservation et Exposition de l'Art Contemporain au Royal College of Art, à Londres, Royaume-Uni, en 2018. Son travail a été inclus dans des expositions collectives telles que " Luma Rencontres Arles ", Arles, France (2023) ; " 20/20 Photo Festival " à Wanderlife Gallery, Philadelphie, États-Unis (2022) ; " Red Mansion Prize ", à la Royal Academy of Arts, Londres, Royaume-Uni (2019), pour n'en citer que quelques-unes.
En outre, ses œuvres sonores et vidéo ont été présentés à plusieurs reprises : " Diaspora Pavillon " à l'International Curators Forum (2022) ; " Seismic Wave ", OF Gallery, Séoul, Corée du Sud (2020) ; " The Artist Dining Room | Faith Ringgold " au Yinka Shonibare Studio, Londres, Royaume-Uni (2019) ; " Poetry in Translation ", Ball House, Pékin, Chine (2018) ; " Who Cares ? A radio tale ", Gasworks & Resonance 104.4FM à Londres, Royaume-Uni (2018).
Il a reçu le Red Mansion Prize de la Red Mansion Foundation à Pékin, en Chine (2018). Son livre "Could be the last" a été présélectionné pour les Luma Arles Foundation Dummy Awards (2023).
Il a participé à plusieurs résidences, notamment "Transforming Art Ecologies" au New Art Exchange, Royaume-Uni/Tahannaout, Maroc (2021) et une autre au Wysing Art Center, Cambridge, Royaume-Uni (2018). Il a été l'un des anciens élèves sélectionnés pour la session 9 de la Raw Academy organisée par la Raw Material Academy à l'ICA, Philadelphie, États-Unis (2022).
En 2017, il crée une maison d'édition indépendante, " Lost in Time Publishing ", une plateforme dédiée aux arts visuels, à la poésie et à la littérature du continent africain et de sa diaspora.
Ibrahim Cissé a participé à un certain nombre de projets éducatifs, notamment à l'Institut du tourisme, des arts et de la culture de Gambie (2023) et au Sandberg Instituut aux Pays-Bas (2017-2022). Il a été invité à donner des conférences et des ateliers dans les lieux et universités suivants : Goldsmiths University (Londres, Royaume-Uni), UAL (Londres, Royaume-Uni), South London Gallery (Londres, Royaume-Uni), pour n'en citer que quelques-uns.
Il vit actuellement à Dakar, au Sénégal.