Du 19 mai au 30 juillet 2022 

El Hadji Sy

Now / Naaw

 

Now / Naaw

 

Figure majeure d’Afrique de l’Ouest après les indépendances, El Hadji Sy (né en 1954 à Dakar) est présenté à Selebe Yoon, après de longues années de discrétion sur son territoire, alors même qu’il expose dans les plus grandes manifestations internationales telles que Documenta Kassel (2017) ou la Biennale de Sao Paulo (2015). Après plus de cinquante ans de carrière, témoin d’une société colonisée en transition, acteur d’un modernisme sénégalais naissant, le parcours d’El Hadji Sy est transnational à travers ses voyages en Occident, en Afrique du Sud à l’aube de l’apartheid mais s’inscrit profondément dans sa ville natale, Dakar, qu’il n’a jamais voulu quitter. Artiste peintre, activiste culturel, premier commissaire d’exposition noir à collaborer avec un musée européen dans les années 80, son engagement social et ses initiatives collectives visent tout au long de sa carrière à une émancipation artistique. Cette exposition personnelle réunira les oeuvres les plus récentes de l’artiste, des interventions in-situ, des pièces aériennes, ainsi que des archives de la fin du 20ème siècle sur l’artiste et ses différents groupes artistiques, notamment le Laboratoire AGIT’ART, Tenq et Huit Facettes.  

“Now / Naaw” - signifient simultanément “maintenant” en anglais et “s’envoler” en Wolof. Peintre avant tout, ses oeuvres faites à partir d’une variété de supports et de matériaux tels que des toiles de jutes industrielles, du papier de boucherie ou papier recyclé, du verre, du bois, du goudron, des coquillages, sont de nature performatives. Mobiles telles des accessoires sur scènes, semifonctionnelles, brouillant ainsi les frontières de l’utilitaire et de l’esthétique, ses pièces se métamorphosent en des paravents, des portes, des fenêtres, des cerfs-volants, du mobilier ou des structures itinérantes. Sa démarche, inscrite dans le politique, se manifeste par une peinture à la fois figurative et abstraite, d’une grande musicalité visuelle où les corps et les formes se soumettent à une ondulation permanente.

Qu'il s'agisse d'interprétations poétiques d'événements politiques, de représentations de scènes quotidiennes, de références à l'urbanisme de Dakar, de portraits de figures politiques, intellectuelles, mythologiques ou ordinaires, ses Oeuvres entremêlent des commentaires politico-socio-économiques et des réflexions critiques sur les systèmes de production culturels et mondialisés. Dans "Now / Naaw", ses nouvelles Oeuvres conçues comme des assemblages de panneaux et de colonnes sur roues avec un schéma de composition variable transforment le lieu d'exposition en un paysage hétérogène. El Hadji Sy désobéit à la règle institutionnelle "ne pas toucher" des musées qui sanctifie l'œuvre d'art et impose une relation distante et contemplative au visiteur. Dans son exposition, l'artiste-scénographe subvertit l'espace, impose une chorégraphie au visiteur qui doit contourner, toucher, traverser, ouvrir ou fermer l'œuvre pour y avoir accès.

Naaw (voler) symbolise l'action, la liberté et le refus de se laisser paralyser par les institutions et les dogmes sociétaux : une position qui a toujours été celle d'El Hadji Sy. Diplômé de l'école des Beaux-Arts en 1977 à Dakar, il reste défiant vis-à-vis de la politique culturelle de l'Etat et des principes esthétiques de la négritude - il reçoit pourtant le soutien et l'admiration de l'ancien président Léopold Sedar Senghor avec qui il échange et se confronte sans cesse. Dans les années 1970, il marchait, tapait, dansait et peignait avec ses pieds sur la toile comme un acte de rupture avec l'esthétique des Beaux-Arts. Hors des murs des institutions, il a travaillé artistiquement dans des espaces sociaux, tels que les rues, les hôpitaux et les gares, afin d'impliquer un public plus large et de fusionner ses intérêts pour l'éducation, le développement et l'art. Le double sens phonétique de Now / Naaw évoque le principe du jeu et du "glissement", cher à l'artiste. La jonction des genres, la simultanéité des significations, ou encore leglissement d'identités sont des stratégies visuelles que l'artiste utilise pour contourner les classifications rigides du monde. Dans une ère post-indépendance, cette conscience multidisciplinaire vise également à éviter les risques d'essentialisation et d'exotisation d'une prétendue " africanité ". 

Une existence entre retrait de l’espace public et mobilisation politique, solitude et communautarisme, actes provocateurs et discrétion, le parcours d’El Hadji Sy est pluriel et capital pour l’histoire de l’art du Sénégal et des indépendances. Après plusieurs décennies de travail, un engagement perdure: poétiser et secouer le réel par des réinventions esthétiques.  

-Jennifer Houdrouge

Droit d'auteur du texte : Selebe Yoon

 

Biographie

 

 

Artiste pluridisciplinaire, activiste culturel, commissaire d’exposition et historien de l’art, El Hadji Sy (né à Dakar en 1954) est l’un des artistes pionnier du Sénégal après les indépendances et l’un des membres fondateurs d’un des collectifs historiques les plus importants d’Afrique fondé en 1974 – le Laboratoire Agit-Art. 

 

En tant qu'activiste culturel, El Hadji Sy a toujours été impliqué dans le développement de l'art et de la culture de son pays à travers des initiatives collectives. En 1977, il a fondé le premier Village des Arts dans un ancien camp militaire situé au centre ville de Dakar. Contraint de fermer, il reprend ensuite un camp chinois et le transforme en ateliers d'artistes - l'actuel "Village des Arts". Tout au long de ces années, il organise des ateliers internationaux avec l'espace de projet et le groupe d'artistes "Tenq" ainsi que "Huit Facettes" - un collectif intervenant en milieu rural dont le travail a été présenté à la Documenta 11 en 2002. En 1984, il est invité à constituer une collection d'art contemporain du Sénégal pour le Weltkulturen Museum - un musée ethnographique de Francfort - et publie à cette occasion la première anthologie des arts du Sénégal, préfacée par Léopold Sédar Senghor en 1989. Cette recherche - publiée un an avant "Les Magiciens de la Terre" au Centre Pompidou à Paris (1989) - contextualise l'art contemporain du Sénégal et révèle une modernité non occidentale. En 1995, il a été invité par Clémentine Déliss en tant que co-commissaire de l'exposition "Seven Stories about Modern Art in Africa" à la Whitechapel Gallery pendant le festival Africa95. Au niveau international, son travail a été exposé dans de nombreuses institutions telles que le Museum of Fine Arts, Boston (1980) ; Linda Goodman Gallery, Johannesburg, (1995) ; Documenta 14, Kassel (2017) ; U-jazdowski Castle Center for Contemporary Art, Varsovie (2016) ; la National Gallery, Prague (2016) ; la Biennale de Sao Paulo (2015) ; Blum & Poe Gallery, Los Angeles (2020) ; Kunstverein, Hambourg (2021), entre autres. L'artiste a reçu une rétrospective "Painting, Performance, Politics" organisée par l'artiste avec Clémentine Deliss, Yvette Mutumba et Philippe Pirotte au Weltkulturen Museum en 2015. Des objets de la collection ethnographique du musée, sélectionnés par l'artiste, ont été mis en dialogue avec son travail, proposant ainsi une réflexion critique sur la muséologie. À Dakar, il est l'un des seuls artistes sénégalais à avoir exposé au Musée Dynamique en 1966, après Pablo Picasso (1972) et Pierre Soulages (1974). El Hadji Sy a travaillé avec de nombreux commissaires d'exposition, notamment Clémentine Déliss, Hans-Ulrich Obrist, Alison Gingerich et Peter Pakesch. Ses œuvres sont dans un certain nombre de collections importantes - Weltkulturen Museum (Allemagne), la Fondation Blachère (France), David Bowie (USA), Bassam Chaitou/Jom Collection (Sénégal), Kehinde Wiley (USA/Sénégal), Jean Loup Pivin (France). Bien qu'il ait voyagé et exposé à l'échelle internationale, El Hadji Sy a toujours travaillé et vécu à Dakar, au Sénégal.

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