Balle de Match

Au croisement du documentaire et de la fiction, Mbaye Diop lors de sa résidence à Selebe Yoon, poursuit un travail autour de la ville de Dakar, son architecture et son urbanisme. Alors qu’il travaille en Suisse depuis 2018, le Sénégal, l’évolution socio-politique de cette société et son rapport à l’Occident restent le centre de sa pratique.

Dakar - ville de contraste, tendue entre ses rêves futurs et les traces de son histoire, Mbaye Diop la conçoit tel un lieu où s’exercent les structures de pouvoir. Son tissu urbain révèle des confrontations architecturales entre des modèles infligés par l’histoire coloniale, la persistance de formes traditionnelles et la prolifération des nouveaux symboles de mondialisation. 

Cette exposition personnelle nous fait traverser une ville habitée par ses contradictions, sa soumission au béton, ses anciens fantasmes et l’inéluctable retour d’une entropie urbaine. Au cœur de cette déambulation à travers des bâtiments historiques aujourd’hui disparus, menacés ou pour certains encore honorés, se déploie aussi une traversée des médiums : du film d’animation, au dessin, à la peinture, l’artiste mêle la matérialité du dessin à la technologie de l’animation en volume. 

Ces films d’animation sont produits à partir de milliers de planches de dessins dans un rendu essentiellement noir et blanc. Ces derniers sont faits à partir de vidéos qu’il décompose en photographies, et qu’il transfère avec de l’acétone sur papier, les retravaillant au graphite. Page après page, l’artiste fait apparaître silhouettes et détails dévoilant ainsi le caractère évanescent de l’action et du tumulte urbain, l’aspect fantomatique des personnages et des scènes. Avec ses peintures et dessins, l’artiste griffonne la surface et compose ses figures à partir de gribouillis faits à la mine de plomb et pour la première fois, avec des pigments de couleurs.

À l’instar de ses prédécesseurs prenant la vie urbaine comme point de départ d’une réflexion visuelle, tel le cinéaste Djibril Diop Mambéty avec “Contras City” (1969) ou Bouna Médoune Sèye et ses photographies « Les Trottoirs de Dakar » (1992), Mbaye Diop peint une « désarchitecture » de la ville, un désagencement esthétique, et une cohabitation de divers codes et systèmes.

Du marché de Colobane à celui de Kermel, des bâtiments coloniaux aux anciennes baraques, des rues du Plateau à celles de la Médina, ses œuvres témoignent d’une véritable géographie des espaces de sociabilité et de l’excès urbain qui ensevelit les projets coloniaux ou post-coloniaux sous la réalité économique et politique actuelle. Les abris en métal, les constructions en décrépitude, les habitats traditionnels apparaissent dans son travail. Tous représentent des « architectures de survie qui subsistent et poussent telles des plantes parasites qui s’agrippent à un arbre en pleine croissance », selon l’artiste et révèlent des effets de “résistance” face aux réglementations urbaines.

Pour lui, la construction de cette ville ressemble à un match qui oppose plusieurs rivaux. Ainsi, l’image du match de tennis reprise à travers ses œuvres évoque l’état de compétitivité qui s’empare de la ville. Un jeu dont la fin est palpable mais dont cette dernière susciterait des questions: l’homogène triomphera-t-il ? Une coexistence de ces divers modes d’habiter est-il viable? Que diront les voix de ceux qu’on n’entend pas?  

L’intégralité des œuvres a été produite lors de sa résidence à Selebe Yoon, excepté pour « Colobane » (2020). L’exposition présente aussi des planches d’œuvres en cours afin de montrer le processus de réalisation d’un film d’animation futur. Enfin, une salle d’archives sur l’architecture de Dakar accompagne l’exposition. 

Une performance entre le musicien Wasis Diop et Mbaye Diop aura lieu le 15 Décembre 2022.

-Jennifer Houdrouge

Droit d'auteur du texte : Selebe Yoon