"Racontez-moi la mosquée de vos rêves
Conversation entre Fredj Moussa et Alibeta
Date de l'événement : 22 mai 2025
Pour clôturer sa résidence de recherche à Selebe Yoon, l'artiste Fredj Moussa s'entretient avec Alibeta et Jennifer Houdrouge. L'exposition "Raconte-moi la mosquée de tes rêves" est le résultat de six semaines de recherche au Sénégal, et présente une série de peintures, de dessins, de sculptures et une installation vidéo.
Jennifer Houdrouge: Fredj, le projet “Tell me about your dream mosque” est né d’une histoire — celle de la Mosquée de la Divinité. Pourrais-tu introduire le point de départ des œuvres réalisées pendant la résidence ainsi que du film que tu as réalisé en collaboration avec Alibeta?
Fredj Moussa: C’est la première fois que je suis au Sénégal, à Dakar, et mon arrivée ici, c’est une ‘porte d’entrée’ à travers la Mosquée de la Divinité et son histoire. C’est une mosquée qui serait descendue du ciel à travers le rêve de son créateur, Mohamed Gorgui Seyni Gueye, dit Sangabi, en mars 1973, et c’est cet imaginaire-là qui m’intéressait d’emblée. Je voulais voir comment la spiritualité, ou en tout cas le soufisme, pouvait cohabiter avec des croyances comme l’afro-futurisme ou la science-fiction. Une fois arrivé, j’ai rapidement compris qu’il n’y avait pas que cette religion dans la baie de Ouakam, mais qu’il y avait une forme de syncrétisme, que c’était beaucoup plus complexe que ce que j’imaginais. Le projet de film initial a rapidement évolué vers une œuvre vidéo collective avec plusieurs histoires qui se croisent, ainsi que des peintures qui pourraient, bien sûr, renvoyer vers un film, mais aussi vers d’autres contes qui traversent la région.
Jennifer Houdrouge: Imaginaire, cela veut dire récit, mythe, légende, conte. Dans ce travail, le point de départ est une histoire, celle de cette Mosquée apparue dans un rêve. Alibeta, pourquoi travailler l’imaginaire, pourquoi et comment le réactiver? Quelle en est la valeur dans notre société actuelle?
Alibeta: Je dis souvent que pour moi, les imaginaires, c’est comme du codage. Les imaginaires que nous avons dans la tête codent et définissent nos comportements, nos attitudes, notre rapport à la réalité. Cela a un impact et façonne directement nos croyances, nos histoires, nos façons de voir le monde, nos cosmogonies, notre relation à nous même, à l’autrui, au vivant, à l’environnement... [...] Dans les cultures africaines, plus précisément chez les Lébous, les Serrers, les Diolas, avec la colonisation, on a l’impression qu’on a perdu ces manières de voir le monde. Mais elles sont encore là — donc on est partis avec Fredj vers eux. Si on doit faire un travail de décolonialité, c’est d’abord dans les imaginaires.
Fredj Moussa: Je souhaitais proposer des contre-histoires par rapport aux grandes Histoires. La Mosquée de la Divinité, pour moi, est un espace de résistance. À travers cet imaginaire, je souhaitais proposer autre chose, résister face à un schéma colonial, au christianisme, contrecarrer. ces imaginaires Comment crée-t-on ces espaces qui deviennent intimes, familiers, où on peut créer et laisser place à l’imaginaire?
Cette résidence est un échange avec Nessij et La Boîte, Tunis.